lundi 6 novembre 2017

Romance, sexe et tabous, quand la révolution sexuelle provient du genre littéraire le moins subversif...

Crédit photo : Cole Phillips (1921)

La Romance : récit dont l'élément central est une histoire d'amour qui finit bien.
Pour ses détracteurs : littérature de bonnes femmes, formatée, convenue, cul-cul la praline, irréaliste, idiote, rigide, frigide…
Autant de qualificatifs associant la romance à son public majoritairement féminin, tel un lectorat de seconde zone sans une once d'ambition intellectuelle. Certains éditeurs au cynisme assumé, s'emploient d'ailleurs à faire perdurer ces clichés, s'obstinant à proposer de la merde à une partie de leurs lecteurs.rices. Il faut hélas bien reconnaître que cette partie-là, peu regardante et avide d'avoir sa "dose", accentue par la même occasion, la production de romans bas-de-gamme.
Cercle infernal de l'offre répondant à la demande.

Lorsqu'on regarde de plus près les canevas encore majoritairement utilisés, on remarque vite que le fond n’a pas vraiment changé. Un homme, forcément viril, dominant riche et séduisant poursuit de ses assiduités une femme, forcément ignorante de sa propre beauté, soumise malgré son petit caractère, et en situation professionnelle précaire (ou dont la brillante carrière finira abandonnée comme les sous-vêtements, au premier claquement de doigt du monsieur).
Ou comment s'asseoir allégrement sur l'émancipation de la femme et la notion de consentement .
Mais il y a au moins une bonne nouvelle...
Depuis les années 2010, la romance la plus sucrée avoisine la plus dépravée dans une joyeuse cacophonie. L’indifférence de l'establishment le rendant incapable d'en encadrer le contenu avec l'obligation de poser des avertissements clairs (warnings), il n'est d'ailleurs pas rare de se retrouver avec un récit bien salé sur les bras, planqué sous une couverture des plus sobres. Sauf que les auteurs n'ont pas attendu 2010 et l'explosion de la littérature érotique pour accorder à leurs héroïnes une sexualité active et des désirs à satisfaire.

De Buffy à Captive in the Dark, où comment une série TV serait à l'origine de tout ce merdier...
Brisons dès maintenant le mythe d'une chasteté idéale au nez des gardiens de la bonne moralité.
Les Aventures et Passions de J’AI LU, si souvent méprisés avec leurs couvertures pleines de mâles à la chemise déchirée, ben il y avait déjà du cul dedans ! Si, si ! Ces romans n’ont attendu ni le feu vert de la société patriarcale ni la validation du milieu porno pour proposer à leurs lectrices, des cunnilingus, des fellations en plus de la bonne vieille levrette !
Quoiqu'à force de ronronner, le genre commençait à étouffer. Un peu comme le polar nordique est venu dépoussiérer le thriller, la romance s'est servi de sang neuf pour ne pas s’endormir. Buffy étant passée par là, les auteurs ont repris à leur compte les éléments fantastiques et autres enjeux romantiques de la série TV pour en livrer leur propre version.
La bit-lit venait de naître.
De fil en aiguille, Twilight paraissait, devenait un phénomène des ventes, et engendrait une ribambelle de clones dans un univers similaire ou plus « réaliste ». En parallèle, la montée du phénomène fanfiction permettait à de purs amateurs de partager leurs écrits sous l’œil bienveillant d’un public actif sur les réseaux sociaux. D’abord proposé en lecture gratuite, puis en autoédition, le roman 50 Shades of Grey fait partie de ces romances nées des cendres de Twilight.
Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?
Parce qu’il a su réunir au moment opportun toutes les envies d’un lectorat en quête de nouveauté. Parce que la fanfiction a tout d’abord offert à son autrice la liberté d’écrire ce qu'elle désirait sans encourir les foudres de la censure, et l’autoédition de publier en s’affranchissant d’un éventuel rejet de maisons d’édition trop frileuses.
Oh, bien-sûr, EL James n’a rien inventé. Le pitch d’une amourette entre un homme ténébreux et dominant avec une jeune femme naïve se retrouve dans énormément de romans. Mais elle a eu le flair d’utiliser le classicisme d’une romance balisée en y mêlant la crudité d’un film X. L’originalité est d’y avoir associé (maladroitement pour les puristes) des pratiques sulfureuses réservées à des initiés, puis d’avoir proposé le tout à un public réceptif.
La faible qualité littéraire du roman a d'abord masqué son impact. C'était sans compter sur son universalité qui a su "parler" aux millions de lectrices. Or c’est en s’infiltrant dans leur intimité, que cette littérature a révolutionné leur sexualité. Sans adhérer à son style ou au pitch de son roman, reconnaissons à EL James l'exploit d'avoir sorti l’érotisme de la confidentialité en le popularisant, dans les rayons comme dans nos chambres à coucher. De plus, en sortant le BDSM du placard, elle a vulgarisé les codes d’une sexualité dite « déviante » aux yeux du grand public.

Conte de fées moderne + sexe + pratiques taboues + public populaire = carton planétaire.

Ou comment une simple romance a fait chuter la plupart des tabous sexuels...

Depuis ce succès phénoménal, des milliers d'auteurs ont tenté de reproduire cette recette miracle, non seulement pour accéder au statut de star richissime, mais aussi sous la pression d'un public de plus en plus blasé. La demande pour des romances moins formatées s'est accentuée, nécessitant en parallèle, un renouvellement de la matière première. Où trouver cette matière si ce n'est en creusant les schémas sexuels les moins exploités ? Et comment prendre plus de risques si ce n’est en flirtant avec l’interdit ?
Sans transformer cet article en bibliothèque du tabou, il fallait bien commencer par illustrer mon propos avec des exemples d'œuvres relevant de la "Romance". Issus de l'autoédition et de l'édition, classiques ou contemporains, ces romans condensent les tabous les plus connus.

Inceste, trouple et homosexualité, zoophilie

SM hard, nécrophilie...

Infidélité, échangisme et pédophilie.
 

Sans surprise, être à l’origine d’un scandale à l'ère de l'information instantanée, garantit une visibilité impressionnante. Quoi de mieux qu'un bad buzz pour attiser la curiosité, planquée derrière des cris d'indignation ? L’essentiel, c'est de vendre. Or pour vendre, il faut susciter l'intérêt. Petit problème, le sexe plan-plan étant exploité en long, en large et en travers (même les fessées et les coups de cravache finissent par lasser), il faut constamment l'alimenter en souffre, d’où une exploration indispensable d’autres schémas sentimentaux (relations, pratiques, fantasmes, etc.).

Quand la société donne un coup de pouce pour trouver le sujet des futurs best-sellers.
L'homosexualité : check !
L'image de l'homosexualité a grandement évolué. Orientation sexuelle opprimée, sa récente institutionnalisation a permis un début de normalisation au sein de la société. Jusqu'alors plébiscité comme "meilleure copine à moustache" des personnages féminins, l'homosexuel a dévoilé sa sexytude à travers le coming-out de ses membres les plus torrides. Dès lors, et malgré son statut inaccessible aux femmes hétérosexuelles,  le héros de MM a pris son envol, titillant le désir chez ce lectorat en quête de nouveautés. En effet, quoi de plus émoustillant qu’un héros viril et sexuellement hyperactif, sinon deux (ou plus) ? On n'y déplore aucune rivalité avec une héroïne trop parfaite, en revanche, on joue les voyeuses devant les jeux du sexe entre hommes : le cocktail presque idéal.
Son pendant féminin est plus confidentiel. Le FF restant moins attractif aux yeux d'un lectorat majoritairement féminin et hétérosexuel.

Le trouple ou polyamour : check !
Schéma sentimental de plus en plus utilisé, le trouple (contraction de trio et couple) se manie avec précaution. Tous les auteurs n'ont pas le talent d'écrire une histoire d'amour harmonieuse entre plusieurs personnages. Avec son Luxuria, Frédérique de Keyser y est parvenue, car elle y a mêlé une analyse très complète de leur psychologie. Aucun d'eux n'est désavantagé. Ce qui est peut-être moins le cas avec Red Room 3 : Tu braveras l'interdit de Lynda Aicher, avec une relation qui m'a semblé plus bancale sur le long terme. La relation doit rester équilibrée. Dès le moment où on ressent l'exclusion de l'un des membres à cause d'une préférence même imperceptible, ou qu'il s'accorde moins bien avec ses partenaires, le trouple peut exploser. On trouve de nombreuses combinaisons, deux hommes/une femme (ma préférée), deux femmes/un homme, trois personnes du même sexe, voire plus de partenaires (mais là, j'émets des doutes sur la sérénité de la relation).

Le BDSM : check !
Pas besoin de revenir sur ces pratiques qui ont intégré notre inconscient collectif. Nécessitant d'être encadrées (les urgences pourraient en raconter de belles sur l'amateurisme de ses nouveaux adeptes), elles ont gagné une visibilité incroyable et se sont banalisées. À titre personnel, je suis bien plus réceptive aux récits mettant en scène un soumis avec sa dominatrice (une belle romance érotique dans le genre Red Room 6 : Tu chercheras ton plaisir, toujours de Lynda Aicher), et suis devenue une ayatollah du consentement. Raison pour laquelle je supporte très mal la romance qui exploite ce domaine, en confondant "emprise amoureuse aveugle" et "échange respectueux entre soumis et dominant".

Le viol et la torture sexuelle : check !
Remercions la Dark Romance et plus spécifiquement la Dark Erotica d’avoir romantisé la torture et l’agression sexuelle, les transformant en base d'une relation amoureuse viable. Le sujet est développé dans mon article sur la Dark Erotica, je n'y reviendrai pas.

La pédophilie : inconcevable (et illégal).
Dans cet esprit (l'absence de consentement n'est plus un frein pour la romance), on aurait pu croire que la pédophilie finirait par être exploitée. Or l'interdit est désormais totalement intégré dans nos sociétés occidentales, même si le porno aime beaucoup jouer avec ce thème. Selon l'époque et le pays, la pédophilie s'est pourtant glissée dans la romance érotique le plus naturellement du monde. (Lolita n'est pas une romance). En 1959, le roman Emmanuelle de Emmanuelle Arsan mettait en scène une toute jeune fille de 13 ans très délurée et amie d'Emmanuelle, ainsi que de jeunes garçons à Bangkok. Aujourd'hui, ce serait impensable sans déclencher un tollé et encourager le tourisme sexuel.
Pour rappel, en France, le fait d'encourager la pédophilie par le biais (entre autres) d'une fiction écrite ou visuelle est puni par la loi (Article 227-23 du code pénal, 5 ans de prison et 75000 euros d'amende, quand même).
Normal.
Alors pourquoi le viol ne l'est pas ?

Les communautés intouchables : en cours.
Le très surfait Priest de Sierra Simone a ouvert la voie d'un Seigneur très pénétrable. En matière de romance, il ne doit pas être le seul, mais ça reste plutôt discret, sûrement pour éviter le harcèlement des communautés touchées.

L’inceste : check !
Les Mangas sont moins frileux, les japonnais ont cette culture ancrée depuis bien plus longtemps que nous. Et seuls quelques auteurs de romance français ou traduits en VF s’y sont risqués pour l’instant, même si la littérature érotique pure n'est pas avare de textes sur ce thème. Je n'ai trouvé aucun roman à succès publié par une grande maison d'édition, ce qui renforce ma conviction que le sujet n'est pas encore prêt à être exploité (voire surexploité). Je me permets tout de même de citer les romans avec liens du sang que je connais (utiliser des membres par alliance, c'est assez faux-cul quand on traite le sujet), comme Son addiction d'Isabel Lucia, Trop proche de toi de Juliette Di Cen, Rentrer à la maison de Max Vos, ou encore la saga Fleurs captives de Virginia C Andrews (qui est en fait un drame). Pour que la relation fonctionne, le principe de consentement y est OBLIGATOIRE. Sinon, c'est un viol. Et viol + inceste, en dehors de la DR qui n'en est plus à ça près, je ne vois pas trop comment ça pourrait être confondu avec une histoire d'amour.

La zoophilie : check ! (mais si !)
D’après vous, qu’est-ce que la bit-lit avec des métamorphes, hein, hein ?
Plus sérieusement, le succès d'histoires avec des tentacules, des T-Rex et autres hommes-singes, devrait nous mettre la puce à l'oreille.

La nécrophilie : pas encore.
À moins d'assimiler les romances zombie à la nécrophilie, il me semble que la littérature sentimentale ne s'est jamais réellement penchée sur la question. Pourtant, elle draine une image proche de la romance gothique. L'absence de réciprocité y est sûrement pour quelque chose. Lol... Et à moins de ressusciter le.a mort.e, je ne vois pas trop comment l'exploiter en romance.
Plutôt qu'utiliser l'affiche du film The Corpse of Anna Fritz d'une crudité terrible mais tout à fait représentative de la nécrophilie, il me semble que le clip suivant illustre avec précision l'idée d'une romance morbide. C'est beau, c'est poétique, c'est malsain, c'est sensuel.

Kylie Minogue et Nick Cave en duo sur Where the wild Roses grow

Paradoxalement, parmi tous les tabous déjà cités, il en est un extrêmement banal qui passe toujours aussi mal.

L'adultère.
Probablement parce que ça remet en cause le concept même d'un amour exclusif et éternel. Qui a trompé, trompera. Cette trivialité renvoie beaucoup trop à la cruauté d'un quotidien souvent subi par la lectrice (ou le lecteur). Petite surprise, on constate souvent une certaine tolérance pour l'infidélité féminine. En plaçant l'héroïne dans une position d'actrice, et non de victime passive, on en fait une amazone qui n'a de comptes à rendre à personne, et se retrouve libre de coucher avec les hommes qui l'intéressent, sans passer pour la dernière des salopes.
Le fantasme de beaucoup de femmes.

Étrangement, certains tabous n'intégreront probablement jamais la romance, car ils mettent en scène des actes corporels « sales » : scatologie, émétophilie (triper sur le vomi), urologie, etc. Leur utilisation ne dépassera jamais la confidentialité d'une littérature de niche.

Mais en vérité, où réside la ligne entre l'acceptable et l’inacceptable, pourquoi certains sujets sont utilisés sans se voir apposés des warnings clairs, alors que d'autres sont impossibles à traiter ? Y aurait-il donc des tabous inoffensifs et d'autres trop politiquement incorrects pour être utilisés ?

Pour conclure, n'est-ce pas amusant de voir l'un des genres les moins subversifs de la littérature, se montrer le plus audacieux en matière de libération sexuelle ?


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